dimanche 20 septembre 2009

Mes grenouilles

J’adore mon travail! Travailler avec de jeunes enfants me donne tant de satisfaction! Ce n’est pas vraiment difficile de partir de chez moi vers 7h00 à chaque matin de la semaine. Bon d’accord, parfois ça l’est! J’ai hâte de revoir mes petits mousses. Je les appelle mes grenouilles. Il y a quelques années, je m’étais dit qu’il serait intéressant de trouver un nom à mon groupe, un nom qu’ils feraient leur et qui leur donnerait ce sens d’appartenance que je voulais leur insuffler. Grenouille me semblait approprié. C’était mon clin d’œil moqueur à l’histoire (combien de fois m’avait-on appelé le «French Frog»!), personnage batracien souvent aimé des enfants: voilà! J’avais trouvé! Et les enfants embarquent! Dès le début de l’année, je les appelle mes grenouilles et ils y répondent. Toujours est-il que mes grenouilles sont mignonnes. Cette année, j’ai dix enfants de cinq ans au jardin et dix de 4 ans en maternelle (quelques-uns ont encore trois ans et demi). Ce sont presque des bébés! Et ils sont adorables! Ces petites créatures, ces petits humains! Je réalise que ces mots peuvent sembler péjoratifs! Ils me rappellent mon enfance. Tout enfant de mon époque (comme je me sens vieux!) était considéré comme une demi- personne sans aucun droit de cité. Il m’était impensable de participer à quelque conversation que ce soit entre adultes. Et ma mère me le rappelait sans ménagement! « Laisse parler le grand monde !» me disait-elle, si j’osais oublier le précepte. À l’occasion de soupers familiaux, il y avait la table des adultes et la table des enfants. Il y avait le souper avec les vrais plats, les vrais desserts! Il y avait le repas avec les assiettes à moitié remplies pour être certain qu’il y en avait assez pour les adultes. Et parfois les vrais desserts, en demi portions! Et il y avait souvent les desserts remplaçants comme le Jell-O rouge ou le pouding au pain. Ah oui, et le pouding au riz! Je dis Jell-O rouge parce que Maman mélangeait souvent les parfums. De ce qu’elle pouvait trouver dans la dépense dépendait le goût de ce que nous avions comme dessert. Elle mélangeait pour augmenter les quantités; elle avait tout de même à remplir neuf bouches, dont sept affamées qui avaient couru toute l’après-midi! Parfois, Maman augmentait les quantités pour nourrir plus de ventres mais parfois ses nouvelles quantités diluaient drôlement le goût! Comme par exemple, le lait en poudre! Le mot qui me vient à l’esprit instantanément est dégueulasse! Mais je ne le dirai pas. La quantité de poudre prescrite avec le double de l’eau suggérée! Imaginez la mixture! J’en ai encore des frissons de dégoût! Un autre souvenir de repas traditionnel : le bouillon de poulet. Et là, je vais préciser. Je ne parle pas d’un bouillon obtenu en faisant bouillir des os de poulet avec des légumes et à utiliser plus tard dans une recette. Non! Maman faisait bouillir un poulet ou parfois une poule (je dis bien bouillir!). Lorsque l’oiseau était bien cuit, elle y ajoutait légumes et ciboulette salée. De la famille des légumes, Maman ne semblait connaître que les carottes, le navet et les patates. Tout bouillait sur le feu (y compris la volaille déjà bien cuite) jusqu’à ce que les légumes soient bien cuits. Et tout était bien cuit! Et ça, c’était le dîner de presque tous les dimanches! Oh! J’allais oublier la poutine! Maman ajoutait une pâte plutôt collante : de la farine agglutinée dans l’eau froide et formant un genre de précurseur à cette glue populaire dans les films d’animation pour enfants d’aujourd’hui. Après avoir bouilli pendant environ vingt minutes dans le bouillon de poulet, la poutine devenait comestible. Je faisais toujours d’énormes efforts pour avaler mes bouchées et ne pas les croquer pour ne pas trop y goûter.
Autre mets qui me faisait lever le cœur et qui me répugne encore aujourd’hui, le foie! Peu importe de quelle bête il vient! Quelle idée saugrenue que de manger cette usine d’épuration! L’humain a de bien drôles d’idées parfois. Il se hisse sur un piédestal, au-dessus de toute créature et même parfois au-dessus de la nature elle-même. Et pourtant il commet de ces stupidités! Là encore, j’essayais d’avaler tout rond, avec le plus de sauce possible! Car j’adorais la sauce que Maman faisait pour napper le foie. Non seulement parce qu’elle me permettait de camoufler le goût, je l’aimais vraiment. Et je ne pouvais refuser de manger le foie, même si j’avais envie de vomir car je l’aurais eu au prochain repas, servi à la température ambiante jusqu’à ce que je le mange, peu importe pendant combien de temps. Pas question non plus de discuter et de parler de mes goûts! N’étant qu’un enfant, je n’avais aucun commentaire à faire.
Est-ce en réaction à ce sort ou est-ce grâce à une certaine évolution qu’aujourd’hui, je discute d’à peu près tout avec mes tout-petits? Peu importe le questionnement, je crois que l’enfant mérite une réponse. Sa curiosité peut ouvrir la porte à de merveilleuses discussions. Partons à l’aventure avec l’enfant; laissons-le exprimer ses opinions sur les sujets qui le passionnent. Pourquoi pas? Est-ce l’apanage de l’enseignant de savoir de quoi est fait le monde? Je suis loin d’être le seul à avoir toutes les réponses. Si je ne sais comment répondre, j’avouerai franchement mon ignorance tout en lui promettant de lui revenir le plus tôt possible.
J’ai découvert une perle dernièrement grâce à Michel Saint-Germain, professeur à l’Université d’Ottawa qui me suggérait le livre «Valeurs et sentiments des 2 à 5 ans» écrit par Michael Schleifer en collaboration avec Cynthia Martiny aux Presses de l’Université du Québec. Les auteurs démontrent la pertinence de parler de valeurs et de sentiments avec les enfants en bas age. Force oblige, ils nous donnent une série de définitions. Qu’est-ce qu’une valeur, une émotion, un sentiment? Qu’est-ce que l’honnêteté, la politesse, la sollicitude? Comment parler de séparation et de divorce, de maladie et d’attouchements? Que dire de Dieu, du Père Noël et de la Fée des dents? Ce fut, non pas une révélation, mais plutôt une confirmation de ce que j’aime vivre avec mes enfants. Je partage mes valeurs avec eux. Nous en discutons ouvertement. Et surtout pas en langage de bébé. Des mots simples, d’accord mais des mots «normaux». C’est ma façon de développer et de maintenir une relation de confiance avec mes grenouilles. C’est ma façon de leur démontrer comment je les respecte et les admire. Ils sont mon inspiration de tous les jours!