mardi 5 février 2013

Chère Maman, il y a longtemps que je t’ai parlé. Depuis sept mois, en fait, lors de mon pèlerinage annuel au Nouveau-Brunswick. Comme à chaque été, je me rends à Dalhousie passer quelque jours avec Paulette et j’en profite pour aller te voir quelques fois. Pour te faire plaisir ou pour me calmer la conscience? Tu sais, parfois je me demande si ça vaut la peine d’aller te voir. Je ne dis pas ça pour être méchant ou sans-cœur. Je me pose souvent la question. Est-ce que tu me reconnais? Est-ce que la visite est pour toi ou pour moi? Chère Maman, il y a longtemps que tu m’as compris. Depuis plusieurs années déjà, je crois. Depuis le jour où je t’ai ramenée chez Paulette après les funérailles de Papa. Depuis que tu ne semblais plus comprendre ce qui se passait. Depuis que tu ne reconnaissais plus tes enfants. Depuis que tu me demandais si tu avais vraiment marié cet homme… Es-tu encore là Maman de mon enfance? Est-ce toi dans ce corps qui ne me répond plus? Toi qui m’a tant appris? qui m’a donné la vie? qui m’a appris à aimer la vie? Si je le pouvais Maman, je te dirais mes souvenirs pour que tu puisses te les approprier. Pour que tu puisses redevenir celle qui m’a appris à vivre. Comme par exemple… …pendant mon enfance et mon adolescence, j’avais hâte de partir de la maison familiale. Je trouvais ça plate de vivre à Balmoral. Pas grand-chose à faire sinon attendre que le temps passe. Nous ne pouvions pas recevoir d’amis pour jouer avec nous : tu avais assez de t’occuper de tes enfants sans avoir à t’occuper de ceux des autres. Tu ne tolérais pas que tes enfants restent dans la maison. Nous devions tous sortir et aller jouer dehors. Bien sûr nous arrivions à nous inventer des jeux avec toutes sortes d’objets trouvés par terre, des pierres, des bouts de bois, ce que nous appellerions aujourd’hui des cochonneries. Nous allions souvent derrière chez nos voisins, les Joncas pour jouer dans le sous-bois; il y avait une dump, un ancien petit dépotoir. Rien de vraiment sale ou dégoutant! Simplement des choses jetées dans le bord du bois par les voisins et nettoyées par des années de pluie et de neige. Un peu de rouille sur les morceaux de métal, quelques paires de vieilles godasses tordues et délavées et bien d’autres éléments de décorations sur lesquels Martha Stewart aurait surement levé son nez de diva de la bienséance mais qui suffisaient amplement à meubler notre résidence sous les arbres. J’aimais aussi aller à la mine. La côte derrière chez madame Joncas nous offrait l’endroit idéal pour glisser durant l’hiver. Mais l’été, c’était la mine! Au début du bosquet, notre rêve d’aventure nous avait transformé un amoncellement de pierres en grotte. Ou était-ce une caverne avec un monstre? Non, c’était sûrement une mine! Il y avait même un petit jeton de métal avec un numéro sur un arbre qui nous confirmait qu’un arpenteur était venu faire une exploration et avait confirmé nos soupçons en y apposant son sceau d’approbation. Quelle veine! Il ne nous manquait donc qu’un peu de temps et d’efforts pour découvrir notre trésor! Ce qui ne fut jamais fait, de toute façon.
Voici une photo de ton mariage, Maman. Chère Maman, il y a longtemps que tu m’as compris. Il y a tant de choses que je voudrais te dire. Je sais que tu en avais plein les bras avec sept enfants et tout ce que ça impliquait. Je ne t’en veux pas, Maman. Au contraire, ton insistance à nous envoyer jouer dehors nous a développé toute une imagination et une bonne dose de débrouillardise! Tu as su nous inculquer de solides valeurs qui me définissent aujourd’hui. Je suis fier d’être ton fils. Je voudrais aussi te rendre fière. Il t’est difficile maintenant de t’exprimer mais je me souviens du temps où tu regardais tes enfants avec cette étincelle de fierté dans les yeux. Oui, tu les avais bien élevés, tes enfants! Et tu avais le droit d’en être fière. Chère Maman, elle est loin notre dernière conversation. Loin le temps où tu me parlais de tes petites excursions quotidiennes dans les centres commerciaux pour vérifier les aubaines. Le temps où nous parlions des choses de la vie. Quand tu me racontais comme tu étais bien avec ton Momont! Quand tu me demandais régulièrement la date de ma prochaine visite à Dalhousie. Tout ça me manque terriblement aujourd’hui. J’ai envie de te parler, Maman. J’ai envie d’entendre que tu me comprends. Es-tu là, Maman?