mercredi 19 mars 2014

La petite culotte rouge (fiction)

Balmoral, c’était mon village. Juché sur les hauts plateaux du comté de Restigouche, il trônait sur le royaume de la truite. À mes yeux, j’habitais la plus belle maison du village, modeste mais confortable! Mon père l’avait construite avec ses frères grâce à un emprunt de cinq cents dollars dans les années 50. Elle était recouverte de bardeaux de cèdre, comme la plupart des maisons des provinces maritimes. Nos ancêtres connaissaient les propriétés imputrescibles du cèdre et ils en recouvraient à peu près tous les bâtiments aux alentours. Et pour égayer le paysage, on décorait le tout avec des couleurs à rendre jalouses les divas de la décoration des temps modernes! Ma mère s’amusait à peinturer la maison à tous les quatre ou cinq ans. Et vous auriez dû voir les couleurs : rose saumon encadré de moulures vert forêt, bleu ciel adouci de moulures blanches, vert forêt épicé de moulures jaune serin! Puisque mon père travaillait au moulin à papier à Dalhousie, il ne pouvait pas vraiment aider à cette besogne. Et je ne crois pas que Maman s’attendait à ce qu’il l’aide. Elle se faisait un honneur de décorer sa maison à l’acadienne. Elle en ressentait un certain bonheur de savoir qu’elle avait la maison la plus colorée du village. C’était aussi la maison qui changeait de couleurs le plus souvent! Alors que la maison était la fierté de ma mère, l’auto était celle de mon père. Il la changeait presque à chaque année, sinon aux deux ans. Je crois que c’était la seule chose que mon père choisissait seul, du moins je le croyais! Un jour, il était revenu avec sa rutilante Comet 1966 rouge pompier avec toit blanc. Papa avait tout de suite appris que Maman détestait le rouge vif! La Comet rouge n’était restée chez nous que six mois! Et Maman avait fait partie du comité de sélection par la suite! Les autres autos étaient un peu plus ordinaires, sauf la Dodge Coronet 500 1969. Sa carrosserie, couleur d’un délicieux caramel était couronnée d’un toit noir. Comme j’étais fier d’être dans la voiture avec mon père lorsqu’il décollait pour l’essayer! Et lorsqu’il faisait crisser les pneus à 60 milles à l’heure en enfonçant l’accélérateur, je trépignais à l’idée que les autres garçons me verraient! J’étais le paon du village parce que mon père conduisait un bolide! Fervente catholique, Maman nous élevait selon les préceptes de l’église et malgré les efforts annuels du père Mélançon, aucun nouveau membre ne semblait à la veille de s’ajouter aux repas familiaux. Ses sept grossesses lui suffisaient amplement! Elle nous disait qu’elle avait assez d’enfants et que si elle en avait plus, elle risquait d’en oublier un quelque part! Et c’est bien ce qui est arrivé en ce dimanche après-midi de juillet 1962 où nous étions tous partis visiter mon oncle Israël à Dalhousie. C’était chez Denise, la pire de mes cousines! Pleine de boutons, pleurnicharde, j’avais décidé qu’elle avait un très mauvais caractère et une odeur qui ne l’aidait pas du tout. Et en plus, c’était une fille! Elle voulait toujours me montrer sa petite culotte, malgré mon manque d’intérêt! Ma mère m’avait souvent averti de faire attention aux petites filles. «Tu es rendu un grand garçon, maintenant.» qu’elle me disait. «Tu vas avoir beaucoup de boutons si tu joues avec ton corps.» Pourquoi me disait-elle ça maintenant? C’était un peu tard, non? Avec quoi allais-je pouvoir jouer maintenant? Et le père Mélançon qui en rajoutait! «As-tu des pensées malpropres? Est-ce que tu te touches le bas du corps le soir? Tu sais que tu peux devenir sourd si tu fais ces choses sales.» Je ne voulais pas devenir sourd… et avoir plein de boutons comme Denise! Alors je me méfiais d’elle et de son effet sur mon caleçon. Et de sa culotte! Rouge vif avec de beaux petits pois blancs, en ce doux dimanche après-midi de juillet. Caché derrière le buisson, je me disais que Maman n’aurait pas apprécié les couleurs de la culotte de Denise! Surtout lorsque Denise souleva sa robe pour me montrer qu’elle avait aussi de la dentelle, blanche comme ses pois autour de sa taille et de ses cuisses! Elle ne semblait pas avoir le même problème que moi avec mon caleçon. Ma mère et le curé m’avaient prévenu des dangers qui m’attendaient. Pour une fois, je ne risquais probablement pas grand-chose, sinon peut-être quelques boutons. D’autant plus que c’était loin d’être désagréable, cette délicieuse titillation! Ce fut à ce moment-là que je vis Masto, l’énorme chien danois de mon oncle Israël s’élancer vers moi à la vitesse de l’éclair. On venait de le laisser sortir du caveau où on l’enfermait quand il y avait de la visite. J’avais instantanément oublié la culotte de Denise. Voulant sauver ma culotte de la géhenne de ces crocs acérés, je m’étais mis à grimper la clôture! J’étais poursuivi par les crocs de Satan! Il y avait connivence entre Maman, le père Mélançon et Masto. L’enfer du Père Mélançon me semblait bien doux à côté de ce qui attendait mon fessier si je tombais dans l’abysse de cette gueule dégoulinante de rage. J’avais préféré écouter Denise plutôt que mon ange gardien, le moment était maintenant venu de payer pour mes pensées impures. Des images épouvantables me bloquaient la vue : gueule de loup, lambeaux de chair rouge sang, boutons purulents, moi sourd comme un potte…l’enfer! Dans ma grande stupeur, je pensais entendre les voix de mon oncle Israël et de Maman! Il rappelait Masto et elle disait mon nom. Après avoir empilé les enfants dans la boîte à l’arrière de la camionnette, Papa et Maman avaient repris la direction de Balmoral. Ce n’est qu’en sortant de la ville que mon frère Claude s’était aperçu que j’étais absent. Mes parents m’avaient oublié dans la cour arrière de mon oncle Israël. Ils étaient revenus me sauver des crocs de Masto…et de la petite culotte rouge de Denise. La vie ne manquait pas de piquant et on ne s’ennuyait jamais dans mon petit village acadien, juché sur les hauts plateaux du comté de Restigouche.