dimanche 30 décembre 2012

Les funérailles de Papa

«C’est qui, celle-là? Elle m’appelle par mon p’tit nom et j’la connais pas. Et tout ce monde que je connais pas pantoute! Chus après rêver! Chus dans c’te grande maison avec plein de monde, toute des étrangers. Pis en plus, y’a des anglais! J’comprend pas. Coudon, ousse que j’chus? J’ai-tu hâte de m’réveiller? Pis ctelui-là! Y’arrête pas de me dire maman comme si on avait élevé les cochons ensemble! » «Toutes mes sympathies, Yvette.» «Mes sympathies! C’est donc de valeur! Tu vas être tout seule maintenant. Tes enfants vont surement s’occuper de toi. Surtout Paulette, est tout proche.» C’est ben de valeur. Il est parti si vite. Il paraît ben! Ils l’ont ben arrangé. Mes sympathies Yvette! Y’est ben mieux ousse qu’y est astheure. Tu vas voir que le bon Dieu va prendre soin de lui. Avec toutes les messes qu’il allait, il a surement une bonne place en haut!» Maman fait bien ça! On croirait qu’elle reconnaît tout ceux et celles qui lui offrent leurs souhaits et veulent lui offrir leur soutien. Elle leur sourit gentiment. De ce sourire poli engrammé depuis sa tendre enfance. Ce sourire vide de sens. Ce sourire qu’elle a appris à faire, parce qu’il le fallait, comme un rictus. Sa grand-mère avait dit qu’il fallait le faire, sa mère avait dit qu’il fallait le faire et elle-même l’avait répété toute sa vie. Parce que ça faisait poli! Qu’elle eue été d’accord avec ce que son interlocuteur disait ou non n’avait aucune espèce d’importance. Le sourire était nécessaire. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que Maman comprenne ce qui se passe. Son compagnon de vie depuis plus de soixante ans est décédé il y a deux jours. Celui qui s’occupait d’elle depuis si longtemps n’est plus. Celui qui réussissait à la protéger d’elle-même à ses propres dépens ne pourra plus tenir son rôle d’ange gardien. Et je ne sais pas si elle s’en rend compte! Son sourire est trop poli! Il est trop présent, physiquement, trop déconnecté de son affect. Comme une ride qui s’affiche et qu’on ne peut contrôler. Je pense que je vais amener Maman faire une petite promenade dans un chemin de bois pour lui changer les idées un peu. Après cet après-midi au salon funéraire, elle a besoin de retrouver un peu de calme. Un peu de tranquillité permettra peut-être de se remettre les idées en place. Les idées en place : quel sarcasme! Maman est en train de perdre contact avec la réalité et je joue avec les mots! J’ai moi aussi besoin de me remettre les idées en place, pas seulement Maman. Si les miracles existaient j’en voudrais un tout de suite pour Maman! La ramener dans sa petite vie paisible avec Papa. Dans leur petit train-train d’avant les dérapages de Maman. Au moment où il était encore agréable pour Papa d’être avec son Yvette! Au moment où Maman savait encore qu’elle était avec son Momon. De partir faire leur promenade en auto comme deux amoureux. D’aller refaire pour la nième fois leur «ronne de lait» pour vérifier les bonnes aubaines à Campbellton. Encore lui! J’étais-tu vraiment marié avec c’t’homme-là? Pis d’abord, j’ai eu des enfants avec lui? Ben voyons don! Qu’est-ce qu’on fait dans le bois? Pis si on voit un ours? Comme ça, j’étais vraiment marié avec lui. Pis y dit que j’ai eu sept enfants, tu parles d’une idée! Je dois lui parler un peu du décès de Papa. Elle ne se rend pas compte de ce qui se passe. Je dépose délicatement ma main sur la sienne. «Tu sais, Maman, nous étions au salon funéraire tantôt pour dire au revoir à Papa. Il était très malade et il est décédé. Tu comprends?» Quelques secondes de silence s’éternisent, puis elle me regarde, incrédule : «J’étais probablement marié avec c’t’homme-là parce que tout le monde le dit». «Oui Maman, et vous avez eu sept enfants ensemble. Évelyne 60 ans, Claude 59 ans, Maurice 58 ans, Paulette 57 ans, moi René 55 ans, Lena 54 et Bernard 53 ans.» Bon, c’est qui cte grosse femme-là? Cette grosse femme-là, c’est Paulette! Pauvre Paulette! Maman ne la reconnaissait plus! C’est elle qui l’hébergeait depuis quelques jours parce que Maman n’était plus capable de rester seule. Nous avions jugé, Paulette et moi que Maman ne pouvait plus être seule dans son appartement. Avant d’être hospitalisé, Papa m’avait confié qu’il la surveillait constamment car il ne pouvait plus lui faire confiance. Elle «oubliait un peu», disait-il. Elle le réveillait vers trois heures du matin pour qu’ils ne soient pas en retard pour le déjeuner. Papa ne disait rien. Elle se dépêchait de laver la vaisselle, il l’aidait à la ranger. Elle se hâtait pour s’habiller. Papa la surveillait d’un œil discret. Elle oubliait d’ajouter de l’eau dans le chaudron pour faire cuire des choses sur le poêle (comme faire bouillir des patates à sec!) ou laissait tout simplement des chaudrons vides sur le poêle. Il le faisait pour elle, sans lui dire. Elle laissait couler l’eau, il l’arrêtait. Il la surveillait jour et nuit depuis plusieurs mois, sans en avoir soufflé un mot à quiconque. Surtout pas à son Yvette chérie! Il ne voulait pas l’inquiéter et encore moins la contrarier! Pas à ses enfants qui auraient peut-être eu l’idée de les placer au foyer. Lui garder ce semblant d’autonomie le plus longtemps possible, se permettre à elle et à lui-même de vivre ensemble encore un petit bout de temps, c’est ça qu’il avait osé espérer. Voler un peu de temps à la maladie. Elle allait peut-être redevenir normale.

3 commentaires:

  1. Wow René! Je suis très touchée de ce que je viens de lire! Comme tu as une belle plume! Je découvre un René que je ne connaissais pas, ou que j' avais oublié? Tu es tellement loin et depuis tellement longtemps... Forcément ça creuse une espèce de fossé. On a notre.petite vie, nos habitudes, notre routine et on oublie... Et ce que je viens de lire a fait remonter une foule de souvenirs! Le René qui a été près de moi, pendant si longtemps, sa sensibilité toujours présente mais jamais exprimée vraiment, toujours palpable mais... discrète?
    Merci de partager ces mots sur ton blogue, je ne peux pas vraiment exprimer ce que je ressens exactement, seulement deux motse viennent et je me dépêche de les écrire avant de tout rayer: je t'aime René, mon ami! Et je continuerai à te lire, parce que ça me
    rapproche de toi. Vive l'écriture, qui permet d'exprimer des non-dit.

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  2. Oups j'ai oublié de signer: Carole, ta vieille amie. xxx

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  3. Il ne voulait pas dire aurevoir à leur histoire d'amour. Je me suis toujours dit, même étant jeune fille, que l'un ne pourrait vivre sans l'autre... je crois avoir eu raison. Il me manque beaucoup mon Pépére Lebelle et même Mémére, celle qui était toujours là pour nous, comme une deuxième maman...

    Nathalie

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